coeurdescorpionne

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La légende d’Uzmah

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

— Papa, Papa !

 

 

À l’ouïe des appels de sa fille, Luis Ortega sortit précipitamment sur la véranda en bois.

 

 

— Que se passe-t-il, Beatriz ?

— Trois chèvres sont mortes, haleta l’adolescente de quinze ans.

— Oh non !

 

 

Depuis trois mois, la localité portoricaine d’Uzmah était la cible d’une créature assoiffée de sang. Bovins, ovins, ou autres espèces, se faisaient massacrer sans que personne ne sût quel être cruel s’attaquait à eux. Jusque-là, la ferme des Ortega avait été épargnée, mais nombre de leurs voisins déploraient la perte de plusieurs bêtes. Ils avaient alerté la police ; celle-ci prétendait que cela ne relevait pas de ses compétences.

 

 

Luis sauta par-dessus les deux marches et courut jusqu’à la chèvrerie. À l’intérieur, force fut de constater que trois caprinés avaient été vidés de leur sang. Heureusement, le cabri né quatre jours plus tôt n’avait rien subi. En revanche, sa mère gisait à côté de lui.

 

 

— Luis ! Viens vite !

 

 

Cette fois, c’était Concepcion, sa femme, qui l’appelait. Le chevreau dans les bras, le fermier quitta le bâtiment pour se diriger vers la maison. De la main, son épouse lui désigna des traces rouges. Ils les suivirent ; elles les conduisirent jusqu’à la chatière de la porte arrière de la ferme. Dans une mare de sang, leurs yeux effarés découvrirent Grisette, la chatte de onze ans, deux trous au niveau de son cou. Une autre victime de la créature barbare.

 

 

 

***

 

 

 

Au ranch des Cortez, la même désolation que chez les Ortega.

 

Au petit matin, alors qu’il souhaitait chevaucher Torbellino – son pur-sang –, Miguel avait trouvé ce dernier non seulement vidé de son sang mais aussi de ses organes internes. Le ranchero avait ensuite fait le tour du propriétaire. La vache Blackhaude et le chien Bandido avaient subi un sort identique.

 

À l’annonce de la mort du border collie, Joselita avait fondu en larmes. Malgré leurs paroles de compassion, Miguel et Consuela ne réussissaient pas à réconforter leur fille de treize ans.

 

 

 

***

 

 

 

De même que les Ortega et les Cortez, la famille Fuentes se révoltait contre la créature qui, dans la nuit, s’était attaquée au bétail – une vaches morte –, à l’un des chats et au chien. La fille, Amelia, pleurait le colley ; Juanita – la mère – déplorait la perte du félin. Quant à Gonzalo, le père, il baragouinait en espagnol des invectives furibondes que lui seul comprenait.

 

 

 

***

 

 

 

Devant l’inertie de la police, les habitants mobilisèrent la presse. Alejandro Montoya publia un article dans La dépêche uzmahaine. Un fermier indiqua avoir vu l’animal ; il en dressa un portrait-robot qui parut aussitôt dans le journal : deux yeux rouges, une bouche avec des crocs saillants, un corps d’alien dépourvu de poils. Au-dessous, une légende accrocheuse : Le chupacabra (1), el vampiro d’Uzmah, un extraterrestre sanguinaire.

 

 

Qui aurait cru cela possible en 1990 ? D’où venait cet être abominable ? Débarquait-il d’une autre planète ou était-il un croisement improbable de divers spécimens terriens ? Aucun historien, scientifique ou chercheur n’en faisait état.

 

 

 

***

 

 

 

Son fusil près de lui, Luis montait la garde dans la chèvrerie.

 

 

« Cette saleté ne tuera plus mes bêtes ! »

 

 

Hélas, épuisé par les travaux de la ferme, il s’endormit. Le lendemain, il déplorait la perte de trois chèvres.

 

 

Chez les Cortez, Miguel compta deux chevaux et une vache massacrés.

 

 

Quant à Gonzalo Fuentes, il dénombra trois vaches en moins, ainsi que deux chats.

 

 

 

***

 

 

 

Les crimes du chupacabra s’accumulaient, décimant cheptel bovin, caprin, ou autre élevage.

 

 

— Je vais perdre tous mes chats, se plaignit Juanita.

 

 

Gonzalo lui lança un regard noir.

 

 

— On s’en tape de tes chats ! C’est pas eux qui nous nourrissent ! Moi, c’est tout mon bétail que je vais perdre !

— Et moi ? Personne se soucie de ce que je ressens depuis la mort de mon chien ! larma Amelia.

 

 

D’un mouvement brusque, elle quitta la table pour se précipiter dehors. À peine avait-elle fait quelques pas qu’elle s’immobilisa, pétrifiée. Deux yeux rouges la fixaient.

 

 

— Papa ! hurla-t-elle de toutes ses forces.

 

 

Son père décela la peur dans son appel ; il accourut aussitôt. Mais, entre-temps, le chupacabra avait disparu.

 

 

Ce jour-là, cinq poules, une vache et six chats trépassèrent dans la ferme des Fuentes.

 

 

 

***

 

 

 

Agenouillée sur son prie-Dieu devant l’autel élevé en l’honneur de la Vierge Marie, Concepcion invoquait la mère du Christ.

 

 

— Sainte Marie, délivre-nous du chupacabra.

— Ce ne sont pas tes prières qui vont faire quelque chose, charria Luis.

— Moi, au moins, je tente ; qu’as-tu fait, toi ?

— Tu es injuste, Maman ! intervint Beatriz. Papa a monté la garde auprès des chèvres.

 

 

Sa mère pouffa de rire.

 

 

— Tu parles, il s’est endormi !

— Papa était fatigué.

— Arrête de défendre ton père ; il est assez grand pour le faire tout seul. Et puis, laissez-moi prier tranquillement !

 

 

Luis et sa fille échangèrent un regard complice en quittant le salon.

 

 

— Je vais voir le biquet, annonça l’adolescente.

— Je t’accompagne.

 

 

Tous deux se dirigeaient vers la chèvrerie quand, soudain, deux yeux rouges. Beatriz poussa un cri de frayeur. Si perçant qu’il effaroucha le chupacabra.

 

 

Ce jour-là, à la ferme des Ortega, quatre caprinés périrent.

 

 

 

***

 

 

 

Dans la matinée, Miguel prépara des collets encore plus sophistiqués que ceux dont il se servait pour tuer les sangliers. Il les dissimula tout autour de la propriété.

 

 

Le lendemain, Cortez se précipita à l’extérieur. À la vue du spectacle offert à son regard, il exulta. L’un des nœuds coulants, truffé de pointes de fer comme les autres, avait serré le cou du chupacabra qui se vidait de son sang.

 

 

— Consuela ! Joselita ! Je l’ai eu !

 

 

En continuant de crier sa joie, il courut jusqu’à la maison, ouvrit la porte à la volée.

 

 

— Je l’ai eu ! Ce maudit vampiro est mort !

 

 

Miguel s’empressa de téléphoner à Alejandro Montoya. Appareil photo en main, le journaliste vint vérifier ses dires. Prit nombre de clichés. De retour à son bureau, il annonça la mort du chupacabra dans La dépêche uzmahaine. Cette nouvelle réjouit le comté.

 

 

Toutefois, Montoya s’interrogeait. Si cette créature venait réellement d’une autre planète, l’un de ses congénères ne risquait-il pas de débarquer un jour prochain ?

 

 

 

 

 

 

 

 

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(1) littéralement, "suceur de chèvres"

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Tous droits d’auteur réservés

©Jocelyne B.

4 décembre 2023

 

 

 

 

 

 

 

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Source illustration :

https://fr.wikipedia.org/wiki/Liste_de_cr%C3%A9atures_l%C3%A9gendaires#/media/Fichier:Chupacabra_(artist's_rendition).jpg

 

 

 

 

 

 

 

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Légende inspirée par la créature Le Chupacabra

Connu seulement depuis 1990, le Chupacabra est un cryptide (créature légendaire dont l’existence est envisagée au travers de témoignages, mais non confirmée par des preuves matérielles, comme, par exemple, le yéti ou le monstre du Loch Ness). Originaire de la culture populaire de l'Amérique latine (notamment du Mexique et de l'île de Porto Rico), dépourvu de poils, il possède deux yeux rouges, une bouche avec des crocs saillants, un corps d’alien. Il est décrit comme un extraterrestre sanguinaire qui s’attaque aux animaux pour les vider de leur sang (parfois, de leurs organes internes).

 

 

 



06/12/2023
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