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Légendes


La légende de Belzébée

 

 

 

 

 

 

 

 

Au royaume des fées de Fromental, commune rurale de la Haute-Vienne, vivait Belzébée d’Ostrevent, une magnifique sylphide brune. Du haut de ses vingt-et-un ans, elle éveillait chez les mâles un criant désir d’amour. Notamment chez Jazellus Gellone. Mais la demoiselle était promise à Gédéas de Bréhant, selon l’accord conclu entre les familles des jeunes gens afin de réunir les deux lignées les plus fortunées de la région.

 

 

Tous les villageois furent invités au fastueux mariage ; on servit de succulents mets, le vin coula à flots. À l’instar de la plupart des convives, Gédéas roula sous la table. Belzébée en profita pour passer sa nuit de noces avec Jazellus, celui qu’elle aimait, celui qu’elle aurait préféré épouser. Hélas, un enfant ne désobéissait pas à ses parents !

 

 

Ulzéric Chalifoux – le fouineur du bourg – surprit les amants. Il s’empressa de divulguer l’information aux autorités fromentales, l’adultère étant puni par la loi. Belzébée fut non seulement bannie du royaume des fées mais également transformée en marte. Son joli visage, sa svelte silhouette, sa taille de guêpe, ses seins semblables à des mandarines bien calibrées, ses prunelles bleues… Tout disparut. À la place, une laideur repoussante, un corps disgracieux, décharné, une poitrine avachie, longue, qui pendait sur les cuisses, des yeux rouges. Ses cheveux, coupés auparavant aux épaules, poussèrent jusqu’à traîner au sol.

 

 

Belzébée trouva refuge dans une vieille bicoque, à l’extérieur de la commune. Les hommes, naguère si prompts à la courtiser, la traitèrent avec mépris, la raillèrent sans pitié. Animée d’une rage féroce, l’âme devenue noire, la fée déchue ourdit sa vengeance.

 

 

À la nuit tombée, dissimulée sous une longue pèlerine sombre dont, d’une main gantée, elle retenait les pans, sa chevelure camouflée par un capuchon rabattu sur son visage, Belzébée rôda près de la taverne. Personne n’aurait pu deviner que, derrière cette mise, se cachait la marte. Elle jeta son dévolu sur le premier sorti : Tarcissius d’Ailly, un damoiseau qui, avec délicatesse, l’avait déflorée à seize ans. Elle se plaça de manière à n’être vue que de dos. La mystérieuse silhouette intrigua le freluquet.

 

 

— Qui es-tu, ma mignonne ? interrogea-t-il, la voix pâteuse.

 

 

En réponse, un gloussement de rire. Puis la jeune femme commença à s’éloigner. Émoustillé, Tarcissius la suivit. Belzébée maintenait entre eux une distance raisonnable. Dès qu’il tentait de l’approcher, elle pressait le pas. Ce manège excita d’Ailly.

 

 

— Tu ne m’échapperas pas, ma mignonne, ricassa-t-il.

 

 

En deux longues enjambées, il franchit l’intervalle qui les séparait. Le godelureau se disposait à saisir son capuchon lorsqu’elle accéléra. Il perdit l’équilibre. Par chance, il réussit à éviter la chute. Cet imprévu attisa son excitation. Mais la diablesse esquivait chaque velléité de rattrapage.

 

 

Ce petit jeu finit par encolérer Tarcissius, impatient d’assouvir l’appétit charnel déclenché par l’insaisissable femme. Par chance pour lui, une seconde d’inattention de Belzébée suffit pour la surprendre. D’une main, il enlaça sa taille en se pressant contre son dos, le membre échauffé.

 

 

— Je te tiens enfin, ma mignonne, exulta-t-il dans le cou de la captive.

 

 

De l’autre main, il dégagea la capuche. L’interminable chevelure noire se répandit jusqu’au sol. Un insupportable doute gagna Tarcissius. Il fit pivoter la jeune femme. Bouche ouverte, yeux écarquillés de stupeur, il découvrit la marte. Tel un soufflé, son excitation retomba. Il détala sans attendre.

 

 

Belzébée le poursuivit. La peur donne des ailes à certains êtres ; elle en paralyse d’autres. Celle d’Ailly freinait sa course. En guise de lasso, la fée déchue utilisa l’un de ses bessons. Une fois capturé, elle l’immobilisa à terre. Ses informes seins lui servirent de corde pour l’étrangler. Elle les noua autour de son cou et serra, serra, serra. Un rictus diabolique distordit sa bouche quand le fuyard rendit l’âme.

 

 

Elle le saisit par les aisselles. À grand renfort d’acharnement, elle réussit à le tirer jusqu’à un dolmen, sans parvenir à le hisser sur la table de couverture.

 

 

Quelques jours plus tard, elle s’attaqua à Ulzéric Chalifoux. Puis, la semaine suivante, à un troisième dameret.

 

 

Belzébée attira ainsi nobles, paysans et autres coquets. Leurs corps sans vie furent retrouvés près des dolmens. Fromental et sa région connurent une recrudescence de décès parmi la gent masculine.

 

 

Il n’y a pire vengeresse qu’une femme en furie bafouée !

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Tous droits d’auteur réservés

©Jocelyne B.

24 septembre 2023

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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Légende inspirée par la créature La marte (dans le folklore français propre à l'Indre et à la Haute-Vienne, une marte – ou marse – est une fée déchue, d'une laideur effrayante. Elle a un corps décharné, des seins flasques tombant jusqu’à ses cuisses, et des yeux rouges. La nuit, elle se tient sur le haut des tables des dolmens, d’où elle appelle les hommes, surtout s’ils sont jeunes et beaux. Gare à celui qui refuse ses avances !)

 

 

 


21/11/2023
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