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La légende de Saint Goustan

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Dans le marais poitevin, le père Hippolyte officiait en tant que curé de la paroisse Saint Goustan. Secondé par le vicaire Marceau, il n’envisageait pas de poursuivre cette mission pastorale jusqu’à la retraite ; il ambitionnait de devenir cardinal. Encore fallait-il que le pape le remarquât pour le nommer à cette charge. Or, pour évoluer de prêtre à membre du Sacré Collège, en évitant la case évêque, Hippolyte devait se démarquer de ses confrères ecclésiastiques.

 

 

Malheureusement, depuis quelque temps, Saint Goustan se distinguait de façon défavorable. Plus aucun mariage n’y était célébré. La raison incombait à la malebête. Un animal imposant, à longs poils, qui ressemblait à un ours. Il dévorait les jeunes gens de la région – filles et garçons – en âge de s’unir. Les autochtones l’avaient baptisé Iours.

 

 

Les familles se lamentaient. Non seulement elles perdaient leur progéniture mais la perspective de nouvelles naissances s’amenuisait au fur et à mesure des décès. Toutefois, personne n’osait affronter l’animal. Certains l’avaient vu capturer ses victimes, les traîner jusqu’à sa tanière, les dépecer, puis les dévorer. Ils craignaient de subir le même sort s’ils attaquaient Iours. Aussi les froussards venaient-ils en nombre prier à l’église. Seigneur, délivre-nous de la malebête, imploraient-ils.

 

 

Le père Hippolyte finit par entrevoir une solution. En individu gonflé d’orgueil, il pensa que seul un homme de Dieu pouvait vaincre cette créature. De surcroît, s’il réussissait, il obtiendrait, à coup sûr, sa nomination dans la haute sphère de l'Église. Un prêtre qui terrassait un probable démon de l’enfer ne pouvait qu’impressionner le pape. Hippolyte n’en doutait aucunement.

 

 

Le religieux tenta une première approche mais, dès que l’ours fonça sur lui, il déguerpit à toute allure. Son deuxième essai échoua également car, pour se donner du courage, il ingurgita un litre de vin de messe avant de braver Iours. Inutile de préciser qu’il fut incapable de se rendre à la tanière. La démarche chancelante, il s’affala sur le sol sitôt sa sortie de la sacristie.

 

 

Le troisième jour, le curé convia Aminthe au presbytère. Paroissienne naïve de vingt-et-un ans, ni laide ni belle, elle accepta l’invitation. Empli de joie, il s’enfila deux verres de vin. Mais, lorsqu’il réclama un baiser à la jeune fille pour, se justifia-t-il, lui permettre de se confronter à l’animal avec force et détermination, elle flaira l’effluve d’alcool ; répugnée, elle tourna les talons.

 

 

Le quatrième jour, le ministre du culte n’avala qu’un verre. Muni d’un crucifix, il se dirigea vers le repaire du cruel plantigrade. Il n’eut pas le temps de s’agenouiller pour réciter des prières ; le prédateur bondissait vers lui, la gueule ouverte. Le prêtre fit volte-face. Dans sa précipitation, il chuta.

 

 

Il croyait sa dernière heure arrivée quand, de derrière un fourré, surgit son vicaire. Ce dernier, intrigué par le comportement de son supérieur, l’avait suivi. Marceau fixa l’ours d’un regard mi-tendre mi-autoritaire. Inexplicablement, la bête stoppa son élan. Le diacre s’approcha alors d’elle, la main tendue, murmurant de douces paroles. Les yeux du père Hippolyte s’agrandirent de stupéfaction lorsqu’il vit Iours lécher la main de Marceau. D’un geste affectueux, celui-ci caressa la tête de l’animal, puis son pelage. Docile, la malebête se coucha devant le prêtre de trente-cinq ans tandis que celui de quarante-cinq observait la scène sans mot dire. Si seulement il avait su qu’un peu de gentillesse suffisait pour apprivoiser Iours !

 

 

Soutenant son aîné qui, dans sa chute, s’était foulé la cheville, Marceau redescendit au bourg, le mammifère dans son sillage. Le regard épouvanté, les villageois s’écartaient sur son passage.

 

 

— N’ayez plus peur ; il avait simplement besoin de marques d’affection, les rassura le vicaire.

 

 

Rendu moins farouche, plus sociable, Iours n’attaqua plus personne.

 

 

La légende précise que l’exploit de Marceau parvint aux oreilles du pape. Celui-ci le nomma cardinal, au grand dépit de l’ambitieux curé qui ne devint jamais un haut dignitaire de l'Église. Il termina sa vie à Saint Goustan.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Tous droits d’auteur réservés

©Jocelyne B.

27 novembre 2023

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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Illustration : L’ours, de Jacques de Sève (illustrateur français du XVIIIe siècle dans les disciplines de l'histoire naturelle)

 

 

 

 

 

 

 

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Légende inspirée par la créature La malebête

(Issue du folklore de la Vendée, la malebête est une grosse bête à longs poils, qui ressemble à un ours. Elle dévore les jeunes gens – filles et garçons – en âge de se marier.)

 

 

 

 



06/12/2023
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